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Amour à mort dans Lessons in love and violence de Benjamin

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Paris. Philharmonie. 12-X-2023. Festival d’Automne. George Benjamin (née en 1960) : Lessons in love and violence, opéra en 7 scènes et deux parties, sur un texte original de Martin Crimp. Version de concert ; Dan Ayling, mise en espace. Stéphane Degout, baryton, Le Roi ; Georgia Jarman, soprano, Isabelle, sa femme ; Gyula Orendt, baryton, Gaveston / L’Étranger ; Toby Spence, ténor, Mortimer ; James Way, ténor, Le Garçon, Jeune Roi ; Hannah Sawle, soprano colorature, 1er témoin / 1ère chanteuse / 1ère femme ; Émilie Renard, mezzo-soprano, 2ᵉ témoin / 2ᵉ chanteuse / 2ᵉ femme ; Andri Björn Róbertsson, baryton-basse / 3ᵉ témoin / Le Fou. Orchestre de Paris, direction : George Benjamin

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Sur les traces de Written on skin, avec la même collaboration fructueuse entre le compositeur et son librettiste, le tandem Benjamin/Crimp signe son troisième chef d'œuvre, Lessons in love and violence, donné en version de concert sur le plateau de la Philharmonie, avec l' sous la direction du compositeur.

Créé à Londres en 2018 et rejoué à l'Opéra de Lyon en mai 2019 sous la direction d'Alexandre Bloch, l'opéra en deux actes et sept scènes, disponible en DVD (Opus Arte, Clef d'Or ResMusica 2019) et CD (Nimbus) et n'avait pas encore été révélé au public parisien. Un retard réparé par le Festival d'Automne. Privé ce soir de mise en scène, il bénéficie de la légère mise en espace de distribuant sur le devant du plateau quelques éléments et accessoires de décor : un canapé noir où viendront se rejoindre les deux barytons et deux supports de bois verticaux de part et d'autre du chef où s'expose, sur velours rouge, la couronne qui passera d'un camp à l'autre.

s'est inspiré du drame de Christopher Marlowe, Édouard II (1594) pour écrire une histoire d'un rythme et d'une violence implacable, celle « d'une conspiration et d'un régicide ourdis par un homme et une femme », qui redit, mais à sa manière, celle d'un Macbeth. Le Roi (auquel Crimp retire à dessein son nom), est accusé par Mortimer, le chef des armées du royaume, de négliger ses fonctions de souverain et de dépenser son argent en musique et en poésie alors que son peuple est affamé. Il est sommé de cesser sa liaison avec son amant Gaveston, non pas parce qu'il s'agit d'une relation homosexuelle mais au motif que l'amour est un poison pour celui qui veut régner. Ligué avec Isabel, la Reine, qui devient sa maîtresse, Mortimer fait tuer Gaveston et décide de préparer le jeune Prince, fils ainé du couple royal, à sa future position sur le trône. Le Roi qui a du lui céder sa couronne, reçoit, en prison, la visite d'un Étranger (le spectre de Gaveston) qui vient l'avertir qu'il est déjà mort… parce que la vie du Roi et la sienne ne sont qu'une même vie.

Sans préambule, comme dans le Wozzeck de Berg, et avec cette même efficacité dramaturgique, Benjamin nous fait entrer dans le vif du propos avec le duo du Roi et de Mortimer, qui donne le ton. La violence règne en maître, dans les échanges des protagonistes comme dans les actes perpétués sur le plateau. Dans la scène 2, en présence des témoins de la misère du peuple, la Reine Isabelle brandit un diamant qu'elle plonge dans le vinaigre avant de le faire avaler par l'un des mendiants. Dans la 5, sous les yeux du jeune prince, Mortimer étrangle le Fou qui prétendait, selon l'avis de son chat, être le souverain légitime . Quant aux « lessons » de l'amour, aussi chahutées que poignantes, elles s'incarnent dans les superbes duos des scènes 3 et 6 avec les deux barytons, /le Roi et /Gaveston, déjà présents à la création de l'ouvrage : voix de velours richement timbrée et d'une élocution parfaite, jouant de toutes les nuances de la séduction, pour le premier ; baryton plus tonique, avec davantage de noirceur dans le timbre, pour le second. Les deux voix s'enchevêtrent au point de se confondre dans le dernier duo (scène 6), acmé de la tension où elles sont submergées par le seul véritable tutti orchestral de l'opéra.

Son talent d'orchestrateur à l'œuvre, avec le raffinement d'une écriture qui scrute les moindres détails, établit des correspondances entre les timbres instrumentaux et les voix solistes : clarinette basse, contrebasson, intervention du cymbalum et du zarb pour les deux barytons. Les alliages de couleurs sont autant de trouvailles pour servir l'action et souligner sa part d'étrangeté : comme ces tambours entendus dans la tête du Roi (scène 6) et produits par la résonance des cordes graves des deux harpes hybridées par le cymbalum. Benjamin écrit des interludes somptueux pour relier chacune des scènes et assurer le continuum dramaturgique d'un opéra où la tension de l'écoute n'est jamais relâchée.

La richesse et la diversité de l'énonciation vocale selon le contexte et les personnages opèrent , de manière remarquable : du parlé-récité aux envolées d'un lyrisme éperdu, elles modifient d'autant la temporalité du discours et soulignent le contour expressif des mots parfois étirés sur de longues tenues. Le rôle d'Isabelle a été écrit pour Barbara Hannigan et la flexibilité légendaire de son soprano. Élégante dans sa robe bleue rehaussée de dentelle, en assume les déploiements et autres volutes dans l'aigu avec autant de souplesse que d'élégance, entretenant dans son attitude un brin guindée une certaine touche élisabéthaine. Face aux deux barytons dont on a déjà souligné l'excellence, le ténor robuste, avare de commentaires, de /Mortimer file droit, à l'image de sa dureté implacable quand la ligne vocale du Roi emprunte volontiers des détours ornementaux. Présent dans la scène 2 (3ᵉ témoin) où il se fait déjà remarquer, ne laisse pas indifférent dans le rôle du Fou (scène 5), tant par son abattage physique que par l'ampleur de son baryton-basse qui s'inscrit sur les impacts percussifs de l'orchestre dans une des scènes les plus terrifiantes de l'opéra. Épatantes dans leurs divers rôles respectifs, , soprano colorature et , mezzo-soprano, témoins de la misère du peuple, sont aussi les deux femmes qui chantent la déploration du roi David dans la scène 3 où se joue un théâtre dans le théâtre. Le ténor du jeune Roi/, mis en valeur dans une dernière scène suffocante, n'en est pas moins rayonnant, d'une grande clarté d'élocution, dont le registre flirte avec celui du contre-ténor.

Quoique toujours frustrante, la version de concert d'un opéra a cet avantage de faire toute la lumière sur l'orchestre et le geste instrumental dont on appréhende ce soir la richesse et la diversité. La concentration de est impressionnante et l' éminemment réactif, déployant toute la palette de ses registres avec une qualité de timbre et une précision d'attaque qui nous comblent.

Crédit photographique : © Denis Allard

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