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Au Châtelet, le Festival d’Automne à l’heure catalane

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Paris. Théâtre du Châtelet. Festival d’Automne. 15-X-2023. Luciano Berio (1925-2003) : Naturale, pour voix enregistrée, alto et percussion ; Alessandro Bosetti (né en 1973) : Contar, pour ensemble et voix enregistrée (CM) ; Pierre-Yves Macé (né en 1980) : Variations Belvédère I et II ; Federico Mompou i Denaucausse / Pierre-Yves Macé : Cançons i danses n°3 pour 10 musiciens ; Sardanes : La moixaranga d’Algemesi (Josep Serra) ; Sant Martí del Canigó (Pau Casals) ; Sardanes avec danseurs. Cobla Mil.lenària de Perpignan ; Mireia Viña Campdelacreu, voix enregistrée ; Marion Tassou, soprano ; Ensemble L’Instant donné ; ingénieur du son et diffusion, Olivier Lamarche.

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Comme il l'avait fait en 2016 avec les chants et danses du folklore basque, le Festival d'Automne invite la cobla catalane et ses instruments de plein air sur le plateau du Châtelet où dialoguent en bonne entente la musique populaire et celle de portée par les interprètes de L'Instant donné.

Le concert parisien est l'aboutissement du projet au long cours, Variations Belvédère, mené avec enthousiasme et brio par l'équipe de L'Instant donné et le compositeur , tous deux lauréats 2022 du programme Mondes nouveaux du ministère de la Culture. Ils ont ensemble imaginé un cycle de cinq concerts à l'hôtel « Le Belvédère du Rayon vert », une construction en béton armé figurant un bateau de croisière avec vue qui fait la gloire de Cerbère, petit village étape de la côte vermeille sur la route menant à la frontière espagnole. Le souhait était d'ancrer le projet artistique au cœur du pays catalan et de ses traditions musicales autant que sociétales : l'idée ne pouvait qu'enflammer l'imaginaire de , compositeur qui aime recycler des matériaux déjà utilisés et réécrire sur de la matière existante. Ainsi choisit-il de se concentrer sur le cycle des Cançons i danses du Catalan Federico Mompou, des miniatures écrites principalement pour le piano qu'il va orchestrer d'une part et réutiliser, sous forme de fragments, pour sa propre création, d'autre part.

Toutes les œuvres au programme relèvent de cette friction entre le populaire et le savant telle qu'on la ressent dans Naturale, chef d'œuvre pour alto, percussion et voix enregistrée de qui débute la soirée. L'œuvre a été créée au festival de Taormine en 1985. Elle consiste en premier lieu dans les sept interventions de la voix enregistrée du sicilien Pepino Celano, une voix « à l'os », aux accents immémoriaux, qui reproduit les cris des vendeurs des rues de Palerme. Berio y ajoute le timbre de l'alto (celui d'Elsa Balas, presque trop rond et chaleureux) qui relaie le chanteur, entre commentaires et citations de chants populaires. L'instrument est chahuté par la percussion (Maxime Échardour), grincement de la baguette sur le tam, frottement et déferlement des peaux, etc. L'intimité de ce théâtre sonore est un rien desservie par l'espace trop ouvert du plateau.

Sans plus attendre, les onze musiciens de la Cobla Mil-lenària de Perpignan s'installent à cour – tille, tible, tenora, pour les anches doubles, trompettes, trombone et fiscorn (bugles) pour les embouchures auxquelles s'ajoute la contrebasse – pour interpréter avec Maxime Échardour deux pièces de répertoire : La moixaranga d'Algemesí de Josep Serra, mettant en vedette la tenora ambrée de Galdric Vicens. Précisons que la musique traditionnelle de Catalogne est l'une des rares à être écrite, dont la polyphonie soignée ménage chants et contrechants. Introduite par le flaviol (flûte à bec) et tambori (petit tambour) de Frédéric Guisset qui a rejoint ses camarades, Sant Martí del Canigó de Pablo Casals est une sardane (danse catalane emblématique) pleine de saveur du grand violoncelliste et pradois d'adoption.

La sardane se danse en cercle et repose sur un comptage très strict des pas qui en règle la chorégraphie : bras baissés puis levés, pas glissés puis sautés, etc. Dans Contar (Compter en catalan), le Milanais , présent dans les rangs du public, a eu l'idée d'enregistrer une voix de femme catalane, celle de Mireia Viña Campdelacreu (danseuse accomplie) qui compte en catalan (et pas seulement les pas de la sardane, semble-t-il) dans une progression en spirale avec retours obligés ; l'enregistrement tient lieu de trame principale à la composition sur laquelle s'inscrit le jeu des instruments. Ils suivent la voix et brodent autour, scandant à l'envi la cellule rythmique obstinée (deux brèves-longue) de la danse catalane. Les instruments de la cobla y sont également suggérés, comme ce duo piccolo/tambour aussi drôle que virtuose entre Maxime Échardour et Mayu Sato-Brémeaud, arbitré par la voix de Mireia. Commande du festival d'Automne, l'œuvre est donnée en création par les musiciens de L'Instant donné qui en restituent tout à la fois l'élan implacable et l'humour distancié.

Arrangement et réécriture

Titre du projet Monde nouveaux, Variations Belvédère est aussi celui des pièces écrites par Pierre-Yves Macé pour chacun des concerts cerbériens. Cansoneta nova et danses (Variations Belvédère I et II) entendues ce soir ont été créées par l'Instant donné respectivement le 1er octobre et le 16 juin 2023 à Cerbère. Chaque concert incluait également une orchestration des Cançons i danses de Federico Mompou, le cycle dans lequel le compositeur a puisé le matériau de son écriture ainsi que l'idée du dyptique, chanson d'abord, à dominante mélodique au tempo lent, et danse ensuite, plus rythmique et enlevée.

Cansoneta nova met en scène, au côté des musiciens de L'Instant donné, la soprano qui a suivi pratiquement tout le projet. L'écriture vocale est hétérogène tout comme les registres de la voix : elle est tendue dans des aigus qui mettent la chanteuse au défi ou installée dans un médium-grave plus laryngé. L'habillage instrumental y est foisonnant, qui agence des motifs fonctionnant en boucle ou introduit une touche plus pastorale avec la résonance des cloches de vache.

On préfère les danses, finement conduites, où est convoqué un set de percussion original (un clavier de petites lames métalliques joliment timbrées) qui ménage une partie virtuose à Maxime Échardour tandis qu'une sardane (la fameuse Santa Espina, véritable hymne catalan) passe par les haut-parleurs, à fleur de membrane. Le document sonore Le Cœur et le Sang, avec la voix d'Yvette Grau, cerbérienne qui nous parle de son village natal avec l'authentique accent local, est entendu sur les haut-parleurs toujours, au mitan du diptyque. Le témoignage a été pressé sur un 45 tours et inséré dans le Jukebox de l'hôtel Belvédère (l'installation est signée Pierre-Yves Macé) contenant douze disques et autant de paroles d'habitants du village.

 

L'original vient après les variations… L'orchestration délicate de Cançons i danses n°3 pour dix musiciens de Federico Mompou réalisée par Macé intègre dans l'ensemble (non dirigé, précisons-le) la tenora et le fiscorn joués respectivement par Galdric Vicens et son frère Jordi, deux merveilleux interprètes qui, aux côtés de L'Instant donné, confirment leur talent de chambristes.

Avec Paso-doble, Bolero, Polka, Xotis, Valse et, bien sûr, Sardanes, c'est à la cobla Mil.lenària, seule en scène, qu'il incombe de refermer la soirée, invitant sur le plateau une quarantaine de volontaires plus ou moins chevronnés pour un final avec danseurs qui fait battre le cœur et met le sang en feu.

Crédit photographique : © Pierre Header (Pierre-Yves Macé) ; L'Instant donné ; ResMusica

 

 

 

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