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Jerome Robbins à l’Opéra de Paris : rendre la terre légère

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Paris. Opéra National de Paris. 24-X-2023. Jerome Robbins : En sol (1975). In the Night (1970). The Concert (1956). Chorégraphie : Jerome Robbins. Avec les Étoiles, les Premières Danseuses et Premiers Danseurs et le Corps de Ballet de l’Opéra. Orchestre de l’Opéra National de Paris, direction : Maria Seletskaya

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Alors que le Théâtre du Châtelet reprend West Side Story, le Ballet de l'Opéra de Paris rejoue un triptyque composé de En Sol, In the Night et The Concert. Trois ballets que l'on pourrait dire complémentaires, où la sensibilité et l'humour de brillent, servis par une distribution qui tutoie l'excellence.

, à travers les trois ballets présentés – En solIn the night et The concert – dessine et sculpte les passions tout autant que la société, mêlant son génie à celui de Ravel – le Concerto en sol pour piano et orchestre – et Chopin. Des sentiments délicats ou déchainés sont en effet dessinés par des corps qui se soulèvent comme on respire. Le trait n'est pas celui d'un Egon Schiele mais plutôt celui d'un : les amants s'envolent avec légèreté dans des portés où le classicisme du XVIIIᵉ siècle se trouve décalé et plein d'audace. Ce néoclassicisme du siècle dernier traverse les trois ballets et, même dans le truculent The concert, le ballet classique est transgressé et détourné. Les duos s'enchaînent et laissent sur une feuille imaginaire le tracé de pointes lascives et de corps enlacés.

Mais au-delà du dessin chorégraphique, qui décolle de la scène pour émerveiller le public, sculpte l'espace et les corps, donnant à voir l'épaisseur d'un mouvement et la profondeur d'une histoire, d'une narration, de la critique d'une société de cartoon, puisant autant dans les lazzis de la commedia dell'arte qu'aux bandes dessinées. Dans ce ballet burlesque qu'est The concert, le chorégraphe a travaillé avec Paul Steinberg, dessinateur mythique du New Yorker. La société venue assister à un concerto, brillamment interprété sur scène par l'espiègle Vessela Pelovska, se scrute et se mesure. La scène empreinte à la tradition théâtrale de la mise en abîme et met en avant les talents d'acteurs des danseurs du Ballet de l'Opéra de Paris, à commencer par celui de Léonore Baulac, savoureuse en ballerine évaporée, Héloïse Bourdon en femme jalouse ou Arthus Raveau, en mari qui a des envies de meurtre.

Dans En sol, le duo central formé par et bouleverse. S'épanouissant au milieu de la pièce balnéaire, peuplée de nageurs et nageuses portés par un rythme jazz, le couple danse d'un pas ouaté, léger et éblouissant. Jerome Robbins se livrait à propos de la musique en ces termes : « Quand je commence un ballet, j'étudie la partition pendant des mois. Je ne cesse d'écouter la musique, de remettre le disque, du matin au soir, je l'écoute quand je me rase, quand je me promène dans mon appartement. J'essaie d'être saturé par la musique, afin de n'en rater aucune note, aucune nuance. » Et de fait, alors que les pas d' suivent la mélodie de Ravel, en interprète la base et s'élance avec force dans les soubassements de l'œuvre. Il arrive qu'il se tienne debout, immobile, et sa respiration, son regard, dansent tout autant qu'ils subjuguent. Les décors et les costumes signés Erté, les lumières nuancées aux couleurs de mer de Jennifer Tipton, la performance du corps de ballet, tout s'approche de la perfection.

Jerome Robbins se joue des codes du classique dans la grâce d'En sol, dans les duos enflammés de In the night où brillent successivement trois couples composés de et , et puis et Audric Bézard, et enfin dans le corrosif The concert. Et si l'humour théâtral de The concert brise l'académisme, l'adage central d'En sol le transgresse d'une manière tout aussi puissante : il infuse la liberté dans le mouvement. Le duo formé par et danse comme de l'eau et ne peut que rappeler la danse aquatique d'. À ce propos, cette confession de Jerome Robbins vient confirmer le rapprochement : « Enfant j'écoutais et regardais les cours de danse que suivait ma sœur, lesquels étaient donnés par une disciple d'»

La danse de Jerome Robbins est toute en retenue, le geste est empli d'une intention spatiale claire et aiguisée. Le corps de ballet de l'Opéra de Paris sublime les déhanchés osés et les histoires à l'œuvre. Le Zarathoustra de Nietzsche, cité par Alain Badiou dans son Petit manuel d'inesthétique, dit : « Celui qui apprendra à voler donnera à la terre un nom nouveau. Il l'appellera la légère. » Nul doute que Jerome Robbins s'est appliqué à rendre légère cette terre tout en la souhaitant allègre.

Crédit photographiques : © Svetlana Loboff / Opéra de Paris

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