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Une histoire discographique de l’orgue de Notre-Dame de Paris

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Depuis la fin des années 1920, la discographie de l'orgue de Notre-Dame de Paris a rythmé son histoire. Suite aux récents évènements tragiques qui ont meurtri ce haut lieu du patrimoine mondial, il apparait important de faire un tour d'horizon des nombreux enregistrements réalisés sur cet instrument d'exception.

L'histoire de l'orgue de Notre-Dame a toujours collé intimement à celle de sa cathédrale. A partir du XVe siècle et succédant à de petits instruments précédents, un grand orgue est installé en tribune de style gothique, qui évoluera peu à peu jusqu'au premier quart du XVIIe siècle. Une gravure très sommaire peut donner une idée de son aspect. C'est l'époque où Charles Racquet en fut l'un des premiers titulaires. En 1730, François Thierry construit un nouvel orgue dans un buffet monumental, celui qui existe encore à ce jour. A la fin du XVIIIe siècle, François-Henri Clicquot agrandit l'instrument et refait un nouveau buffet pour le positif de dos. Plus tard au XIXe siècle, c'est qui édifie un nouvel instrument dans le grand buffet, supprimant le positif de dos à la demande de Viollet-le-Duc. Depuis, l'orgue a évolué au fil du temps, jusqu'aux derniers travaux remontant à 2014.

Depuis les années 1920, l'orgue de Notre-Dame a bénéficié d'enregistrements dont les premiers furent réalisés par en novembre 1928, soit quelques 78 tours pour la firme Odéon repris ensuite par EMI : de courtes pièces d'une durée de quatre minutes environ afin de remplir une face de disque. On entend des chorals de J.S. Bach et des improvisations dont une dernière intitulée Méditation, hélas écourtée par la limite du temps imparti pour l'enregistrement. On entend là une musique charmeuse sur les jeux de fonds sublimes de Cavaillé-Coll, comme tirée d'un film de la belle époque. Il semble qu'à partir de ces premiers enregistrements, une règle immuable vit le jour selon laquelle seuls les titulaires de cet orgue seraient en droit de l'enregistrer. Ces témoignages sonores, les plus anciens connus, permettent d'entendre à la fois le jeu de , et l'orgue assez peu modifié depuis Cavaillé-Coll. Il en sera de même pour quelques rares enregistrements réalisés par son successeur . Pour EMI, il enregistre au seuil des années 1950 trois disques comportant des œuvres de Liszt, Bach ainsi que de ses propres compositions dont une fameuse Toccata écrite pour la libération de Paris en 1944. Ces premiers enregistrements sont rassemblés dans un coffret CDs EMI « Orgues et organistes français en 1930 ». meurt en 1954.

lui succède alors à la tribune de Notre-Dame pour une période de trente années. Durant ces trois décennies, il produit une très importante discographie de plus de 80 disques. Son premier label, L'oiseau lyre, édite dès 1955 trois microsillons comprenant des grands Préludes et fugues de Bach, la Fantaisie Ad nos de Lizst, la Symphonie n° 2 de et la Symphonie-passion de Marcel Dupré. Ces gravures très précieuses montrent l'art du jeune Cochereau tout juste trentenaire, soutenu encore par le Cavaillé-Coll peu transformé, possédant toujours la console d'origine en amphithéâtre et ses transmissions mécaniques avec machines Barker. La captation de l'orgue, bien que monophonique, reste précise et permet d'entendre un orgue bondissant et lumineux. Ces premiers disques seront repris plus tard par le label Solstice dans le coffret « Les incunables ». Peu après, il enregistre plusieurs vinyles pour la Guilde internationale du disque. On y trouve alors un récital Bach, des Noëls anciens, et un célèbre récital de divers auteurs romantiques gravés en 1959. Après ces galops d'essai réussis, signe avec le label Philips une longue série d'enregistrements échelonnés sur des années. Suivant l'évolution de l'orgue, les enregistrements sont de précieux témoins à un moment donné. En 1963, sous l'impulsion de , la transmission des notes et des jeux devient électrique, avec l'arrivée d'une nouvelle console à l'américaine construite par Jean Hermann. Pour autant l'orgue reste encore celui connu par Vierne, sans les chamades à venir…

Pierre Cochereau inaugure ces travaux avec un premier enregistrement datant de novembre 1963, l'un de ses plus beaux : une grande Symphonie improvisée et des Versets de Vêpres. A partir de là, et durant une dizaine d'années, le grand répertoire d'un orgue de cathédrale fut gravé afin de constituer un impressionnant catalogue. En 1968, le facteur Boisseaux effectue de nouveaux travaux à l'orgue, dont l'arrivée des fameuses chamades voulues par Pierre Cochereau, dans le souvenir de celles installées par Cavaillé-Coll à Toulouse et à Rouen. Quelques improvisations demeurent célèbres utilisant ces nouveaux jeux, parfois un peu envahissants, mais permettant également de percevoir l'orgue très distinctement depuis l'immense nef. On se souvient alors de quelques paraphrases sur « Alouette » ou « Frère Jacques ».

A la fin des années 60, un ami de Pierre Cochereau, François Carbou rêve d'enregistrer à Notre-Dame. C'est l'occasion pour lui de créer un label discographique sous l'impulsion de l'organiste du lieu. Dès 1968, on installe à demeure un magnétophone Revox dans le buffet de l'orgue et un couple de micros AKG suspendu depuis la voûte devant la façade de l'instrument. Le label FY & Solstice est né. Dès lors, tout ce qui sera joué à ces claviers sera religieusement capté et méthodiquement archivé. Ces documents produiront de nombreux disques officiels avec de grands cycles Vierne, Dupré, mais surtout de très nombreuses improvisations captées au fil du temps, qui restent de précieux témoignages d'évènements historiques ou religieux vécus dans cette cathédrale. La liste est impressionnante : Les obsèques du , de Georges Pompidou, la venue du pape Jean-Paul II en 1980 et tant d'autres évènements marquants dont les grands offices de Noël ou de Pâques. Une sélection de grande ampleur s'est concrétisée sur des dizaines de disques microsillons, repris par la suite en CDs à partir de 1984. Le noyau dur de ce trésor réside dans les centaines d'improvisations de Pierre Cochereau, captées en concert ou lors d'offices religieux et dont certaines ont été retranscrites depuis en partition.

Elles constituent le plus précieux témoignage de l'art de cet artiste, reconnu dans le monde entier. Certaines d'entre elles furent captées en situation de direct, avec tout l'environnement sonore de la cathédrale : le pas des touristes et les petits cris d'enfants sur les jeux doux et ondulants qui restent une certaine marque de fabrique de l'ambiance des concerts à Notre-Dame. En même temps, depuis 1968, Pierre Cochereau avait instauré un concert le dimanche après-midi qui invitait un concertiste de renommée internationale. Tous les grands organistes de la planète ont joué là et ont tous été enregistrés pendant plus de 15 ans. Ainsi s'est enrichit chaque jour une sonothèque de plus en plus gigantesque jusqu'au décès brutal de Pierre Cochereau en mars 1984. Les éditions du Solstice ont édité quelques concerts du dimanche avec de grands organistes tels , Rolande Falcinelli, Maurice Duruflé, Pierre Labric,

Il faut également remarquer durant la même période, les enregistrements de Pierre Moreau qui fut l'organiste suppléant au cours de toutes ces années. Le label Charlin a produit plusieurs enregistrements à la fin des années 60, avec des œuvres de Vierne et de Tournemire. L'ingénieur André Charlin, inventeur de la « tête artificielle », (couple stéréo de micros dans la même position que les oreilles), réalisa des enregistrements de grande valeur, rehaussés par l'interprétation très charnelle de Pierre Moreau. Il faut parler également des organistes de l'orgue de chœur qui occupent une place très importante dans le déroulement de la liturgie et de l'accompagnement des musiciens et des chanteurs pour les offices ou les concerts. Au cours des années 50, Michel Chapuis fut l'un d'eux, à qui succéda par la suite Jacques Marichal que l'on retrouve dans de nombreux enregistrements pour Solstice.

Après le décès de Pierre Cochereau, une nouvelle période vit le jour avec un retour au principe du « quartier », c'est-à-dire le partage de la tribune par plusieurs organistes, tel que cela se pratiquait sous l'Ancien régime. A cette occasion, le chapitre de la cathédrale Notre-Dame de Paris nomma en 1985 quatre nouveaux titulaires par concours : , , Yves Devernay et Olivier Latry. Yves Devernay n'occupa cette fonction que cinq années durant et disparu prématurément en 1990. Il a laissé deux enregistrements : un récital avec des œuvres de Widor, Duruflé, Guillou, Langlais et Dupré pour le label Mitra et un autre constitué d'improvisations lors des offices à Notre-Dame pour Studio SM. Suivant la règle toujours en vigueur, ce sont les titulaires et eux seuls qui continueront à fournir une collection de nouveaux CDs.

Concernant l'orgue de chœur de la cathédrale, il fut construit par Merklin au XIXe siècle sur un dessin du buffet réalisé par Viollet-le-Duc. Robert Boisseau reconstruit un nouvel orgue dans ce même buffet en 1969. Depuis 1988, c'est Yves Castagnet qui est titulaire de l'orgue de chœur de Notre-Dame. Il a participé à de nombreux enregistrements ainsi qu'au grand-orgue, comme son collègue Johann Vexo nommé en 2003 à l'orgue de chœur. De part leur fonction d'organiste dans la cathédrale, ils ont été autorisés à enregistrer officiellement sur le grand orgue.

, compositeur et organiste, a enregistré de 1985 à 2016 une quinzaine de disques pour plusieurs labels dont Hortus, Lade, Solstice, Festivo ou JAV. Outre de grands compositeurs du répertoire d'orgue comme Bach, Liszt et Vierne, a enregistré ses propres œuvres pour orgue ou avec chœur et instruments. Ses Sonates et sa Messe Deo Gratia enregistrées pour Hortus sont parmi ses disques les plus marquants. De nombreuses improvisations ont elles aussi été conservées et éditées.

Philippe Lefebvre a enregistré pour Fy & Solstice plusieurs récitals consacrés à Bach, Franck et aux auteurs classiques français. On retrouve cet interprète dans des disques communs (Hortus), avec ses collègues consacrés à des musiques de Noëls ou des improvisations. Il a signé pour Herald un très beau CD Dupré consacré aux Vêpres de la vierge avec une schola grégorienne de Cambridge.

Olivier Latry fut le plus jeune organiste nommé en 1985, à l'âge de 23 ans seulement, à la succession de Pierre Cochereau. Son premier disque consacré à Widor, enregistré par BNL en 1986, fut une véritable bombe qui fit connaitre aussitôt cet artiste du grand public. Depuis lors, il a enregistré à l'orgue de Notre-Dame une trentaine de disques avec une place particulière pour la musique contemporaine : Jean-Pierre Leguay et ses sonates, Jean-Louis Florentz avec Debout sur le soleil et La croix du sud, et ses Vêpres de la Vierge, avec Le dernier évangile. Son intégrale d'orgue Olivier Messiaen, pour la Deutsche Grammophon, fait acte de référence. Sa participation a de nombreux projets musicaux avec chœurs, orchestre et incluant le grand orgue sont présents dans sa discographie, éditée par divers labels (Naïve, Hortus, BNL, Sony). Les grands musiciens du passé sont présents, en particulier Louis Vierne dont il a enregistré deux Symphonies et les Pièces de Fantaisie pour (BNL). Le dernier disque en date, enregistré il y a trois mois et paru voici quelques jours seulement, est consacré à , au travers d'une utilisation inédite et originale du grand orgue de Notre-Dame.

Avec cet enregistrement s'achève pour l'instant la longue liste de près de 200 disques consacré à cet instrument mythique depuis les premiers documents des années 30 réalisés par Louis Vierne. L'orgue, sauvé de l'incendie dévastateur du 14 avril 2019, restera cependant muet et inopérant pendant une longue période. Les très nombreux éléments de sa discographie permettront aux fidèles amateurs de l'un des plus beaux orgues du monde de continuer à l'entendre, l'écouter et suivre son évolution au cours du temps. En complément, d'autres documents vidéos le montrent sous divers aspects techniques et serviteur de la grande tradition musicale et liturgique de Notre–Dame de Paris, remontant au XIIe siècle avec .

Crédits photographiques : © Frédéric Muñoz

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