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Così fan les Beatles à Toulon

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Toulon. Opéra. 27-I-2023. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Così fan tutte, opera buffa en deux actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte. Mise en scène : Christophe Gayral. Décor : Mathieu Lorry-Dupuis. Costumes : Frédéric Llinares. Lumières : Marie-Christine Soma. Avec : Barbara Kits, Fiordiligi ; Marion Lebègue, Dorabella ; Dave Monaco, Ferrando; Vincenzo Nizzardi, Guglielmo ; Pauline Courtin, Despina ; David Bižic, Don Alfonso. Choeur (chef de choeur : Christophe Bernollin) et Orchestre de l’Opéra de Toulon, direction : Karel Deseure.

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En 2018, l'Opéra de Toulon, pour qui Mozart semble rimer avec rockstar, n'avait guère eu la main heureuse en confiant La Flûte enchantée à Elvis Presley (et accessoirement à René Koering). Il en va tout autrement avec ce Così fan tutte confié aux Beatles dans la mise en scène quasi-chorégraphique de .

A chaque production de l'avant-dernier opéra de Mozart, on n'en finit pas de rétrospectivement s'étonner quant à la surdité de nos ancêtres relativement à ce chef-d'oeuvre absolu de l'art lyrique. Long mais n'ennuyant jamais au fil de trois heures d'horloge d'une inspiration constante, on en redemande, surtout quand, comme à Toulon, l'on coupe une fois encore toujours les sublimes Al fato dan legge et A lo veggio. Comment nos aînés ont-ils pu si longtemps passer à côté d'un opéra qui ausculte si subtilement l'abyssale question du désir humain que chaque metteur en scène y peut immiscer sa marque personnelle, sans que celle-ci ne fasse injure à l'œuvre originelle. Così fan tutte est un thriller psychologique : c'est généralement sur les dernières minutes que l'on comprend vraiment vers quel constat l'on a voulu nous mener.

ne s'ennuie pas lui non plus un seul instant avec Così fan tutte, si l'on en juge de sa précipitation à faire se lever le rideau dès le premier accord, comme pressé de saisir l'occasion de nous en apprendre un peu plus sur une œuvre dont on croyait que tout nous avait été dit. La conclusion du Così version Gayral est joyeusement pessimiste ou tristement optimiste. Les femmes finissent par renvoyer les hommes à leur sort d'hommes entre eux, en pantoufles devant la télévision, après une fête pour laquelle le metteur en scène aura quasiment reconstitué la célèbre pochette du mythique album des Beatles : Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, qui, comme son titre l'indique, n'est rien moins que l'histoire d'un club de cœurs solitaires.

Ferrando et Guglielmo en costumes de noces volés à John Lennon et Paul Mac Cartney ? Fiordiligi in the Sky with Diamonds ? Eh bien oui, et c'est parfaitement crédible. Lorsque les deux couples de Da Ponte débarquent dans la villégiature qu'ils ont élue, ils ne savent pas encore où ils posent leurs valises. Le spectateur, lui, comme dans un bon Hitchcock, sait : il a vu pendant l'Ouverture, comment le personnel du lieu (dont Despina) « essaie » les chambres qu'il prépare pour les hôtes du centre de vacances tenu par un Alfonso expert de l'amour libre. Chemise hawaïenne pour lui, ou torses nus pour tous : ce Così daté années 70 renvoie au libertaire en vogue à cette époque. Costumes ternes pour les garçons, ensembles prudes pour les filles : les corsets des quatre tourtereaux de Da Ponte vont peu à peu s'ouvrir à d'autres couleurs vestimentaires, jusqu'à un finale entre yoga et fumette (c'était donc ça la cigarette allumée dans la pénombre sur le premier accord de l'Ouverture !) avec Despina allumée en grand gourou à la George Harrison.

La direction d'acteurs est épatante de fluidité. Non sans rappeler celui du Così de Claus Guth pour Salzbourg, le décor, sur deux niveaux, s'avère riche en possibilités de jeu. On déplore au deuxième acte que le jeu d'orgues ne fasse pas davantage son miel du cinémascope de cet espace avec vue sur la mer. On regrette, par exemple, que la lumière aveuglante de l'Acte I (l'acte diurne), et qui tombe, au début de l'Acte II (l'acte nocturne), sur les personnages soudainement découpés en ombres chinoises (un choc esthétique qu'on aurait aimé voir se prolonger), revienne aux plein feux dès la scène suivante, oublieuse de la spécificité de cet opéra : il se déroule sur une seule journée ! Autre invraisemblance dramaturgique qui étonne elle aussi dans ce spectacle pourtant millimétré : Bella vita militar, astucieusement suivi, au I, par les protagonistes sur un téléviseur, aurait dû, à son retour au II, rester cantonné au off du tube cathodique. Le spectacle reste cependant musical, amusant et lisible jusqu'au dessillement final de Despina que le pari d'Alfonso a entraîné à son insu à une reprise cruelle de With a little Help from My friends, autre titre célèbre de l'album des Fab Four, dont ce Così intelligent pourrait être soupçonné de dérouler tous les titres.


Une intelligence que l'on retrouve dans la très belle direction du jeune , le sérieux du piano forte remplaçant le pépiant clavecin d'antan, et rappelant fort à propos la profondeur de l'œuvre. Les quelques décalages d'un soir de première n'empêchent pas de goûter l'allant, l'énergie et la délicatesse d'un geste très prometteur, ainsi que la couleur bien maîtrisée d'un orchestre maison joliment mozartien, avec une réjouissante mise en valeur de l'écriture boisée de la partition. Même le cor, généralement anxiogène sur Per pietà, se montre idéal de souplesse, laissant toute latitude à la Fiordiligi de de déployer les contours d'une interprétation juvénile et touchante, même si encore un peu verte sous les fourches caudines de certains passages dans le registre supérieur, le grave étant par ailleurs bien nourri. Un manque de velouté vocal caractérise la Dorabella engagée de , par ailleurs excellente comédienne. La voix piquante de la Despina de , également très sollicitée par la mise en scène de Gayral, convainc progressivement ses deux maîtresses comme son public. Le trio masculin est splendide : le Ferrando gracieux et timbré de va droit au coeur. Le Guglielmo d'immense stature (physiquement, vocalement) de Vincenzo Nizzardo, beau comédien lui aussi, sonne clair et puissant. L'Alfonso en pleine santé de David Bižic, déjà entendu à Dijon , est aussi éloigné que possible des Alfonso vieillissants et revenus de tout de jadis. On n'aura garde d'oublier les figurants (la « Bande du Sergent Poivre »?), pièces maîtresses de la dramaturgie de ce Così qui, contrairement à d'autres, ne se contente pas de six personnages en quête d'amour. Tous et toutes s'adonnent sans réserves à la lecture de .

Ce Così estampillé All you need is love enchante les spectateurs. Un jour pas comme un autre d'une vie de mélomane. Comme concluaient les Beatles : A Day in the Life

Crédits photographiques: © Frédéric Stéphan

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Toulon. Opéra. 27-I-2023. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Così fan tutte, opera buffa en deux actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte. Mise en scène : Christophe Gayral. Décor : Mathieu Lorry-Dupuis. Costumes : Frédéric Llinares. Lumières : Marie-Christine Soma. Avec : Barbara Kits, Fiordiligi ; Marion Lebègue, Dorabella ; Dave Monaco, Ferrando; Vincenzo Nizzardi, Guglielmo ; Pauline Courtin, Despina ; David Bižic, Don Alfonso. Choeur (chef de choeur : Christophe Bernollin) et Orchestre de l’Opéra de Toulon, direction : Karel Deseure.

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