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À Bastille, Warlikowski met l’Hamlet de Ludovic Tézier à l’asile

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Paris. Opéra Bastille, Opéra de Paris. Ambroise Thomas (1811-1896) : Hamlet, opéra en cinq actes (1868) sur un livret de Michel Carré & Jules Barbier, d’après la tragédie éponyme de William Shakespeare. Mise en scène : Krzysztof Warlikowski. Décors et costumes : Małgorzata Szczęśniak. Lumières : Felice Ross. Vidéo : Denis Guéguin. Chorégraphie : Claude Bardouil. Dramaturgie : Christian Longchamp. Avec : Ludovic Tézier, Hamlet ; Jean Teitgen, Claudius ; Julien Behr, Laërte ; Clive Bayley, Spectre du roi défunt ; Frédéric Caton, Horatio ; Julien Henric, Marcellus ; Eve-Maud Hubeaux, Gertrude ; Lisette Oropesa, Ophélie ; Philippe Rouillon, Polonius ; Alejandro Baliñas Vieites, Premier fossoyeur ; Maciej Kwaśnikowski, Deuxième fossoyeur. Chœurs de l’Opéra national de Paris (Chef des Chœurs : Alessandro Di Stefano). Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Pierre Dumoussaud

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propose à Paris sa nouvelle production d'Hamlet d', portée par la noblesse de dans le rôle-titre et par la superbe Gertrude d'.


Créé à l'Académie impériale de Musique en 1868 ans et non réapparu à l'Opéra de Paris depuis 85 ans, Hamlet d' entre à Bastille dans une nouvelle production d'un habitué des lieux, comme de coutume très chahuté lors de son apparition aux saluts. Face à ce nouveau spectacle, on aimerait aussi participer à la querelle en saluant la modernité de la vision, mais la proposition est bien inoffensive.

Déjà, il faut rappeler que loin de la puissance de la tragédie de Shakespeare, le livret de Carré et Barbier aseptise beaucoup le texte d'Hamlet, pour lui laisser la saveur d'un grand opéra français plus difficile à intellectualiser que la pièce de théâtre. Au moins ne pourra-t-on pas reprocher à l'équipe scénique de ne pas avoir valorisé sa grandeur, notamment par les décors de Małgorzata Szczęśniak et les lumières toujours aussi raffinées de Felice Ross. Mais pour le reste, on retrouve ce penchant à griser toutes les scènes dans un même matériau, ici transposé dans un asile de fous, où les protagonistes apparaissent en vieillards décrépis (concept repris d'Iphigénie à Garnier) avant un Acte II encloisonné dans un flash-back de 20 ans. L'idée de névroses ininterrompues d'un roi de pacotille est alors proposée en éloge de la folie, où Hamlet devenu ersatz de l'Henri IV de Pirandello (superbement mis en opéra par Trojahn par ailleurs) défaille avec les fantômes du metteur en scène lui-même, ressassés avec plus ou moins de réussite depuis deux décennies.

Alors, on retrouve les vidéos de Denis Guéguin projetées en arrière-scène, d'abord regardées sur une vieille télé, avec pour film principal Les Dames du Bois de Boulogne, et le parallèle d'une jalousie féminine où une héroïne bafouée en amour fait payer l'homme qui s'en éloigne. Puis on entre avec violence dans l'enfermement et la psychiatrie, Les didascalies se voient décuplées avec un spectre au style de clown blanc, une scène de tragédie du Roi Gonzague caricaturée et provocatrice, une danseuse en tutu (lien avec sa mise en scène de Lulu et avec Agnès du film précité) ou encore une survalorisation de l'une des premières utilisations d'un saxophone dans un opéra, qui offre un long solo – achevé en free jazz désincarné – au musicien sur le plateau, sans qu'aucun de ces éléments n'apporte véritablement d'écho à l'histoire.

Au final, que reste-t-il de tout cela ? Sans doute le jeu d'acteur, au cordeau comme toujours grâce à la chorégraphie de Claude Bardouil (avec le rare ballet donné à l'acte IV) et au travail de dramaturgie de Christian Longchamp, dans lequel s'épanouit avec une superbe précision , non entendu dans le rôle depuis Turin et Toulouse il y a 20 ans. Avec lui, Hamlet devient un dangereux malade, que les médecins tentent de soigner – image vue des milliers de fois à l'opéra depuis Andrei Serban -, quand ils ne le camisolent pas. Dans cette proposition, le baryton dont le timbre est moins évident pour le personnage que ne l'était celui de Thomas Hampson (bientôt Nixon à Bastille), ou de Stéphane Degout encore récemment à Favart, reste volontairement monochrome, au risque de peu enjouer une chanson à boire, puissante de regret. Toujours excellent par son chant, Tézier doit être souvent tempéré par le chef, étonnamment très lent, au risque de perdre même le chanteur dans un final de l'Acte III pour lequel celui-ci était parti d'un magnifique naturel.

Face à lui, Ophélie est mal distribuée, car si le rôle est souvent offert à des sopranos coloratures (on attend avec curiosité Brenda Rae dans les représentations d'avril), cette partie de dramatique colorature correspond moins à un lyrique léger comme . Intelligente et subtile, la soprano ne trouve jamais vraiment un registre aigu et des agilités qu'elle ne possède pas, à l'image de sa dernière note détimbrée à la fin d'une scène de la folie trop peu modulée dans le haut du spectre. L'on regrette comme pour Lucia le mois dernier que les directeurs de casting ne cherchent plus des voix équivalentes à celle de June Anderson, si marquante dans ces rôles il y a une trentaine d'année. Fort heureusement, Gertrude est bien mieux projetée par la grâce d', mezzo déjà splendide pour porter à Lyon la partie relativement similaire d'Eboli dans Don Carlos en français. Ici, la voix se déploie dans tout le médium, superbe et souple face au Claudius de belle stature de .

Déjà Laërte à Nantes et Rennes en 2019 puis encore à l'Opéra Comique en 2020, revient à présent un peu trop en force, quoique sonore dans la grande salle parisienne, bien entouré par le Polonius chaud de et le spectre froid de . Le profite de la préparation d'Alessandro Di Stefano, même si les femmes ne sont toujours pas parfaitement en place, tandis que l'Orchestre fait ressortir beaucoup de belles sonorités grâce à la direction de . Sans doute un peu sur la retenue pour sa première dans cette fosse, le chef qui remplace Thomas Hengelbrock, joue lui aussi le côté gris de la proposition, plus lent que pour son interprétation de l'œuvre en Bretagne, au risque de parfois limiter certaines scènes, notamment aux actes II et IV. Monté de nombreuses fois en France ces dernières années, Hamlet repose dans cette nouvelle production la question d'une forme de modernité de plus en plus surannée : « Être ou ne pas être ? Oh, mystère ! ».

Crédits photographiques : © Bernd Uhlig / Opéra national de Paris

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