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Un nouveau jeu à l’Opéra de Dijon : Armide de Lully

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Dijon. Auditorium. 25-IV-2023. Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Armide, tragédie en musique en un prologue et 5 actes sur un livret de Philippe Quinault. Mise en scène et scénographie: Dominique Pitoiset. Costumes : Nadia Fabrizio. Vidéo : Emmanuelle Vié le Sage. Chorégraphie : Bruno Benne. Lumière : Christophe Pitoiset. Avec : Eva Zaïcik, soprano (La Gloire / Sidonie / Lucinde) ; Marie Perbost, soprano (La Sagesse / Phénice/ Mélisse) ; Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano (Armide) ; Tomislav Lavoie, baryton-basse (Hidraot) ; Cyril Auvity, ténor (Renaud) ; Virgile Ancely, basse (Ubalde / Aronte) ; Timothée Varon, baryton (Artémidore / La Haine) ; David Tricou, ténor (Le Chevalier Danois / Un amant fortuné). Chœur de l’Opéra de Dijon. Le Poème Harmonique, direction : Vincent Dumestre

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Quelques mois après son magnifique Couronnement de Poppée et son piquant Mon Amant de Saint-Jean, l'Opéra de Dijon est bien inspiré de ré-inviter . Lully ne peut trouver meilleur ambassadeur que le chef du Poème Harmonique pour le débarrasser de la pompe raide qui colle encore aux basques de sa réputation.


La Jérusalem délivrée du Tasse, les palais, les déserts, les enchantements d'Armide, c'est surtout dans la partie musicale qu'on les aura trouvés ce soir. Comme à son accoutumée, que ce soit au théâtre ou au disque, le geste de est effectivement un constant enchantement. Les voluptueuses couleurs du Poème Harmonique nous sont à présent bien familières. On les découvre appliquées comme un baume au chevet d'un Lully d'une sensualité inédite, dans le souci permanent de conférer autant de présence que les airs, à la raideur mélodique comme au conséquent récitatif emblématiques du style du surintentendant de la musique du Roi-Soleil. On ne s'ennuie pas un instant avec une battue avançant sans cesse, inspirée dans l'alanguissement sans mièvrerie comme dans la noirceur sans fard (Plus on connaît l'Amour, et plus on le déteste pris à un galvanisant train d'enfer), avec des instrumentaux qui sont la séduction même. Les trente-cinq instrumentistes (trois théorbes !) du Poème Harmonique habitent de surcroît pleinement l'immense Auditorium. La pompe lullyste butant régulièrement sur la luxuriance ramiste : cette matière d'une énième querelle des Bouffons se voit invalidée par le style Dumestre. Dans la ville qui vit naître Jean-Philippe, voilà Jean-Baptiste réévalué pour longtemps. Il va être délicat de revenir à la guinde des enregistrements.

Dumestre et Pitoiset ont tout gardé. Notamment le Prologue, traditionnel hommage à Louis XIV (même si son nom n'est ici jamais prononcé). Si le son ressuscite l'époque, aujourd'hui bien lointaine, où le Pouvoir goûtait la Musique, l'image proposée par le nouveau directeur de l'Opéra de Dijon est et sera contemporaine. semble aimer les lieux clos. Pour Così fan tutte, il avait confiné chanteurs et spectateurs dans la salle d'une pinacothèque. Pour l'ultime tragédie lyrique du tandem Lully/Quinault, créée en 1686 sur la scène de l'Académie royale, il fait le choix, en 2023, de l'amphithéâtre d'une sorte de secte nommée L'Ordre, dont l'on aperçoit le temple immaculé en arrière-plan. Avec sa cascade de gradins et ses portes battantes, le décor sert principalement de range-choristes, l'avant-scène étant réservé aux VIP de la soirée : les solistes. C'est dans cet espace fonctionnel mais aussi périlleux que celui de Così quant à la lisibilité de la dramaturgie, qu'à l'instar de L'Ordre, qui propose un jeu à ses adeptes, propose à son spectateur, casque de réalité virtuelle à l'appui, de jouer à Armide.


Le Prologue sert de carton d'invitation : Le Jeu. Un jeu en cinq manches bien distinctes, accordées aux cinq actes de l'opéra, chacun d'entre eux étant systématiquement annoncé, sur le rideau de scène, par de pédagogiques cartons (Armide pour les Nuls ?) résumant lieux et enjeux. Prises isolément, les images, sous le pinceau d'un jeu d'orgues affûté (Christophe Pitoiset), devant le regard de vidéos élégantes ou naïves (Emmanuelle Vié le Sage), de costumes seyants pour tous (Nadia Fabrizio), de chorégraphies globalement originales (deux doigts de baroque alla Francine Lancelot, les solos touchants du chorégraphe Bruno Benne) sont assez flatteuses pour l'œil. Mais lorsque, toujours coincé dans cette Université bien mal nommée, le spectateur se réveille en fin de parcours à l'hôpital, à l'ephad, ou à l'asile, il en est encore à se demander ce qu'on aura voulu lui raconter. Qu'il ne compte pas davantage sur la lecture a posteriori d'une note d'intention des plus erratiques, snobée même par son auteur: Louis XIV en Poutine, et Armide en « agent secret russe, taupe pleine de sang-froid… » !

L'équipe vocale, entièrement française, ne semble pas se poser toutes ces questions. Les petits plats du chant baroque actuel ont été mis dans les grands. Stéphanie d'Oustrac revient à Armide quinze ans après la finaude version Carsen/Christie. Plus tragédienne que jamais, silhouette magnifiée par chacun de ses costumes, elle porte les affects puissants d'un opéra qui ne cesse de bégayer « quel autre bien peut valoir le plaisir de voir ce qu'on aime », « les enchantements les plus doux sont les plus redoutables ». Toute en allers/retours entre abandon et méfiance, avec une prenante utilisation du souffle, on retient comme elle confesse, au sort qu'elle fait régulièrement au simple mot « Renaud », l'élan comme le poids de la relation amoureuse, le lot de l'humanité désirante. Renaud d'un naturel vocal confondant, atteint, lors de la confrontation finale, les accents les plus déchirants. Accortes maîtresses de cérémonie du Jeu de l'Ordre, et sortent gagnantes du judicieux stratagème qui permet la contraction lisible des nombreux personnages féminins secondaires, comme le fit Barrie Kosky sur les mêmes planches dans ses géniales Boréades. est un solide Hidraot aveugle. est une Haine si séduisante qu'Armide s'y love un instant tendrement. Anouk Defontenay se désolidarise du chœur pour assurer joliment Bergère héroïque et Naïade. et excellent en assesseurs du Jeu, contractant, celui-là Aronte et Ubalde, celui-ci le Chevalier danois et l'Amant fortuné. C'est à ce dernier, pailleté comme un Claude François pour maison de retraite, flanqué de quelques Clodettes, qu'échoient les treize minutes de la sublime Passacaille. « Les beaux jours que l'on perd sont à jamais perdus. » Ce sommet inusable de la partition, en est un de la soirée, déroulé dans une fine complicité chanteur/chef : on emportera pour longtemps le souvenir gourmand d'un irrésistible, micro en main, au milieu des fracassés de l'amour (le Chœur formidablement joueur après avoir été formidablement chantant) qui tremblotent autour de lui.

Une image à ranger dans la boîte à souvenirs, au côté de celle qui clôt Le Jeu : contrairement à la Didon de Berlioz, Armide n'a pas tout perdu avec le départ d'un Renaud qui, comme Enée (comme Louis XIV ?) a préféré la Gloire à l'Amour : la main que Stéphanie d'Oustrac porte à son ventre tandis que son visage passe, comme un masque de tragédie grecque, de l'accablement extrême à la joie irradiante, indique que le test de grossesse que Renaud tenait à la main est positif. invalide fort à propos le constat machiste de l'amant évanoui : « Que ton destin est déplorable ! » Demain sera donc un autre jour : la conclusion pleine d'espoir d'un Jeu auquel on aura joué pendant trois heures, mais dont l'on serait bien en peine d'expliquer la règle.

Crédits photographiques : © Mirco Magliocca

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Dijon. Auditorium. 25-IV-2023. Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Armide, tragédie en musique en un prologue et 5 actes sur un livret de Philippe Quinault. Mise en scène et scénographie: Dominique Pitoiset. Costumes : Nadia Fabrizio. Vidéo : Emmanuelle Vié le Sage. Chorégraphie : Bruno Benne. Lumière : Christophe Pitoiset. Avec : Eva Zaïcik, soprano (La Gloire / Sidonie / Lucinde) ; Marie Perbost, soprano (La Sagesse / Phénice/ Mélisse) ; Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano (Armide) ; Tomislav Lavoie, baryton-basse (Hidraot) ; Cyril Auvity, ténor (Renaud) ; Virgile Ancely, basse (Ubalde / Aronte) ; Timothée Varon, baryton (Artémidore / La Haine) ; David Tricou, ténor (Le Chevalier Danois / Un amant fortuné). Chœur de l’Opéra de Dijon. Le Poème Harmonique, direction : Vincent Dumestre

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