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De Beatrice Berrut à Sophie Karthaüser, exaltantes rencontres au festival de Stavelot

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Stavelot. Ancien réfectoire des moines de l’Abbaye. Festival de Wallonie à Stavelot.
1-VIII-2023 : Robert Schumann (1810-1856) : Fantasiestücke, opus 73, version pour violoncelle et piano; Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour violoncelle et piano °2 en fa majeur, opus 99; Serguei Rachmaninov (1873-1943) : Sonate pour violoncelle et piano, en sol mineur opus 19. Bruno Philippe, violoncelle, Béatrice Berrut, piano.
5-VIII-2023 : Edvard Grieg (1843-1907): deux mélodies norvégiennes, pour cordes opus 63; Gabriel Pierné (1863-1937) : Voyage au pays du tendre, pour flûte, harpe et trio à cordes; Henri Duparc (1848-1933) : trois mélodies ( Invitation au Voyage, Phidylé Le Manoir de Rosamonde), dans l’arrangement pour voix et neuf instruments d’Annelies Van Parijs (née en 1975): Jean Cras (1879-1932) : Flûte de Pan, pour soprano, flûte de Pan et trio à cordes; Jean Sibelius (1865-1957) :En Saga, opus 9, version de 1892, reconstitution en septuor par Gregory Barrett. Sophie KarthaPuser, soprano; Mathijs Koene, flûte de Pan,; Toon Fret, flûte, Anne Lavoisier, harpe, membres de l’ensemble Oxalys.

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C'est, pour tout amoureux de la musique de chambre, un plaisir toujours renouvelé que de rallier Stavelot pour son festival, tant pour la qualité des interprètes ou le choix du répertoire – et son lot de découvertes -, que pour la proximité accrue du public avec les artistes dans une ambiance chaleureuse et conviviale.

Avant la dernière guerre mondiale, Raymond Micha (1910-2006) et sa famille (toujours présente au sein du conseil d'administration de l'association) avaient conçu une informelle série de concerts de musique de chambre dans le cadre des bâtiments conventuels de l'ancienne abbaye stavelotaine. Le festival sous sa forme actuelle est né en 1958 et fut deux ans plus tard adoubé par le grand violoniste belge , qui s'y produisit quasi chaque été durant vingt-cinq saisons, jusqu'au soir de sa carrière : il s'agit donc, d'une sorte de festival de Prades translaté au sein des Ardennes belges, enrichi tant par l'émulation des diverses rencontres musicales et amicales, que par une ambiance propice au travail commun et exaltante pour le concert. Vu le succès des réservations, et la relative exigüité de l'ancien réfectoire des moines, la plupart des concerts du soir sont donnés, depuis belle lurette, deux soirs de suite.

La présente édition concoctée sous les conseils avisés du musicologue Jérôme Lejeune (le fondateur du label Ricercar), rejoint pas divers aspects,  la thématique transversale imposée par la fédération des festivals de Wallonie (l'Utopie), tout en laissant une large place à la musique de chambre de dans le cadre du cent-cinquantenaire de la naissance du grand compositeur-pianiste russe.

et en sonate : un duo souvent exemplaire de complémentarité.

On pourra apprécier les diverses facettes du talent de , invitée d'honneur de la Fédération des Festivals, au fil des divers versants au gré des mois d'été et d'automne. Elle propose les 1er et 2 août un récital chambriste « en sonate », associée au violoncelliste français , lauréat (entre autres) en 2017 de la première édition du Concours Reine Elisabeth de Belgique consacré à l'instrument. C'est en passionnée par la culture germanique et du romantisme musical, que la pianiste suisse aborde toute la première partie de ce programme : elle trouve en son partenaire pour les trois Fantasiestücke opus 73 de Schumann, un complice idéal : avec un sens virtuose de l'anticipation, les deux artistes donnent une version très creusée et contrastée de ce bref triptyque, depuis la mélancolique rêverie du Zart und mit Ausduck initial ou l'intuitive progression vers la lumière du Lehaft médian jusqu'aux débordements enthousiastes du Rasch und mit feuer final.

La Sonate pour violoncelle n° 2, opus 99 de Brahms n'atteint peut-être pas tout à fait les mêmes sommets. Dans cette œuvre plus disparate de climats, tend à aérer le discours, à ouvrir vers l'infini les perspectives musicales tant par la gestion des flux mélodiques et harmoniques que par les sortilèges d'une sonorité très châtiée. se montre, au contraire plus instinctif dans l'expression au fil des deux premiers temps : il lâche les brides dès l'exorde d'un Allegro vivace initial aussi fébrile qu'impatient, parfois au risque de sonorités moins élégantes ; l'Adagio affetuoso en devient presque expressionniste de déchirement, avec ces pizzicatti, à vrai dire presque plus proches de Bartók, que du maître hanséatique. Il faut attendre l'ombrageux et torrentiel Allegro appasionato et plus encore ou l'Allegro final léger, insouciant et guilleret pour retrouver une meilleure connivence entre interprètes.

Mais c'est incontestablement après l'entracte que les deux partenaires nous offrent le plus beau moment musical de la soirée, avec une version  habitée, altière et suprêmement maîtrisée de la Sonate opus 19 de Rachmaninov. C'est ici Beatrice Berrut qui prend les devants et fait montre d'une maîtrise parfaite de la si exigeante partition – presque un concerto pour piano sans orchestre ! Avec un respect scrupuleux mais toujours très intégré des nuances, phrasés, elle donne tout le relief et la retenue nécessaires à cette partie de clavier parfois si prolixe et uniment extravertie sous d'autres doigts. Bruno Philippe lui offre une réplique vibrante cette fois d'une grande probité, et joue, par le truchement de son magnifique Stradivarius, la carte d'une malléabilité expressive sans limite : épique pour le temps initial, sombre et lugubre dans le court scherzo, lyrique mais sans épanchement pathétique dans l'Andante, et triomphalement héroïque au fil d'un Allegro final parfaitement maîtrisé, au gré de ses redites. En bis, la célèbre et immatérielle vocalise opus 34 n°14 du même Rachmaninov donnée avec pudeur et élégance, permet à notre duo de prendre congé, avec onirisme et douceur, d'un public conquis.

L'Odysée d'Oxalys, entre France et Scandinavie, en compagnie de Sophie Karthaüser.

L‘ensemble belge Oxalys fête cette année ses trente ans de carrière. il s'agissait au départ de perpétuer l'expérience acquise en musique de chambre par d'anciens étudiants du Conservatoire de Bruxelles en sa section néerlandophone, mais bien entendu comme dans toute expérience humaine, l'effectif en a perpétuellement évolué –malgré la présence de bien des « piliers » fondateurs depuis l'origine tels le second violon Frédéric d'Ursel, l'altiste Elisabeth Smalt ou la clarinettiste Nathalie Lefèvre. On peut comparer la démarche d'Oxalys à celle de l'ensemble Nash de Londres, par la variété tant des effectifs requis que des répertoires envisagés (du classicisme à l'époque contemporaine) avec un tropisme pour les œuvres peu jouées de compositeurs belges, bien entendu, mais aussi français ou allemands. Le panel « semi-fixe » de huit à dix musiciens (cordes  et bois) peut s'enrichir de musiciens invités, palliant aussi des absences inévitables au vu d'agendas chargés. C'est par exemple, l'occasion d'entendre ce soir , splendide première violon d'un soir et le jeune et talentueux au violoncelle, tous deux artistes invités pour cette production estivale.

Ce soir, l'Utopie prend donc l'aspect d'un périple imaginaire, tissage de partitions jamais jouées in loco. Le concert s'ouvre par les deux folklorisantes et roboratives mélodies nordiques opus 63 d' : l'effectif chambriste des cinq cordes permet d'en savourer toute l'invention mélodique ou  la truculence rythmique.

Le délicieux Voyage au pays du Tendre (1935) de , inspiré des romans précieux du XVIIᵉ siècle et en particulier de la Clélie de Madeleine de Scudéry est un voyage allégorique et une partition topographique voguant, entre autres, au gré des sentiments amoureux au long du fleuve Inclination ou de la « Mer d'inimitié ». Le flûtiste Toon Fret et la harpiste Annie Lavoisier  rejoignent le trio à cordes de base pour cette partition kaleïdoscopique par ses ambiances mais très unitaire par sa thématique : l'interprétation en est d'une précision presque horlogère sans jamais nuire à la juste évocation poétique de l'heureuse fugacité du présent moment : seul petit regret, l'absence du  livret concocté par le compositeur, qui aurait permis de suivre les moindres méandres les intensions musicales.

C'est un grand plaisir de retrouver la soprano belge Sophie Karthaüser pour deux interventions suffocantes de beauté. Tout d'abord, sont retenues trois des mélodies les plus célèbres d', en parfaite harmonie avec la thématique imposée : l'Invitation au Voyage, Phidylé et le Manoir de Rosamonde. La compositrice brugeoise , née en 1975, a repensé l'accompagnement pour neuf instruments, imaginatif mais assez calqué sur la version orchestrale originale de ses trois joyaux. y fait montre d'un sens dramatique, d'une parfaite maîtrise du vibrato d'émission, et d'une diction impeccable : il émane de cette interprétation insigne, magnifiquement encadrée par des musiciens aussi diserts que concernés, un creuset de sentiments, subtil mélange d'extase amoureuse et d'insondable spleen.

Après l'entracte, la soprano propose en compagnie du central trio à cordes et du flûtiste , Flute de Pan, une courte cantate – en quatre numéros – inspirée tant par l'instrument du Dieu antique,  assez inédit en concert, que par les poèmes de Lucien Jacques, au compositeur-marin : une musique assez incroyable, tant par sa combinaison instrumentale que par les effets de son écriture modale héritée de l'Antiquité grecque. Voilà une absolue et poétique découverte qu'heureusement nos interprètes ont déjà fixée sur un disque – chaudement recommandé ! – pour le label Passacaille.

Enfin, pour boucler le parcours, nous revenons en pays nordique pour le fameux En Saga,  opus 9 de , donné ici dans sa version de 1892 et dans la version chambriste reconstruite par le clarinettiste anglais . On sait que Sibelius s'était heurté aux difficultés matérielles pour monter au pays sa symphonie-cantate Kullervo. Son ami Kajanus lui conseilla une œuvre de durée et d'effectif plus mesurés. Par la correspondance de 1891-92, on sait  le compositeur finnois occupé alors à divers projets dont un septuor pour quintette à cordes avec contrebasse, flûte et clarinette. Il est fort probable que le matériau thématique et l'essentiel de cette composition ait été recyclé dans la version princeps d' En Saga, très différente de celle définitive de 1901, tant par sa longueur – vingt-cinq bonnes minutes  !- que par  l'ordonnancement des tempi, la présence d'un long intermède lent au cœur de l'œuvre, supprimé dix ans plus tard, ou encore la coda finale plus abrupte. L' par son engagement, ses couleurs rauques et fauves, son sens du récit et  de la tension permanente tenue sur une aussi longue « distance », jamais ne fait regretter l'orchestre, dont on devine la térébrante puissance en filigrane, au fil d'impressionnants crescendi : une totale réussite et un moment rare, apprécié tant des fervents sibéliens que de l'ensemble du public stavelotain.

Crédits photographiques © Festival de Stavelot

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